Article co-rédigé par Antoine Clerc, avocat associé, et Matteo Polito, stagiaire auditeur de justice.
Par un recours en manquement introduit en février 2025 et publié le 22 avril 2025 (affaire C-154/25), La Commission sollicite de la Cour de Justice de l’Union européenne la condamnation de la France pour non-respect du droit européen au regard des pollutions aux nitrates constatées dans l’eau potable.
1️⃣ Rappels sur le recours en manquement
Parmi les missions dévolues à la Commission européenne par les traités, l’article 17 du TUE charge celle-ci de surveiller l’application du droit de l’Union.
Pour remplir cette mission, la Commission dispose du recours en manquement prévu par l’article 258 du TFUE.
Grâce à cette procédure contentieuse puissante, la Commission, et elle seule, peut saisir le juge de l’Union et dénoncer un État membre qui ne respecterait pas ses obligations nées du droit communautaire.
Pour engager le recours en manquement, la Commission doit justifier avoir appelé l’État à se conformer au droit européen (lettre de mise en demeure puis avis motivé).
2️⃣ Le recours sur les nitrates
En l’espèce, la Commission européenne reproche à la France de ne pas respecter, au moins depuis 2020, les directives successives sur la qualité de l’eau potable :
- En premier lieu, la directive n°98/83/CE du 3 novembre 1998 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine abrogée en 2023 (mais alors en vigueur) ;
- En second lieu, la directive n°2020/2184 du 16 décembre 2020 toujours en vigueur.
Ces dispositions prévoient plusieurs obligations pour les États membres parmi lesquelles :
- Une obligation générale d’assurer la salubrité et la propreté des eaux destinées à la consommation humaine en prenant toutes les mesures nécessaires ;
- Une obligation de prendre rapidement les mesures correctives qui s’imposent, tant en matière d’enquête que de protection des populations en restreignant l’accès aux eaux polluées.
Dès le 30 octobre 2020, la Commission européenne adressait à la France une lettre de mise en demeure eu égard aux quantités excessives de nitrates constatées dans l’eau potable distribuée à des milliers de personnes en France.
En effet, des dépassements chroniques de la valeur maximum fixée pour les nitrates (50 mg par litre) étaient constatés au sein de plusieurs unités de distribution d’eau potable
L’avis motivé, dernière étape avant la saisine de la Cour de justice, a été rendu public le 15 février 2023. La Commission pointe alors le refus persistant de la France de se conformer aux règles européennes.
Finalement, le 21 février 2025, la Commission européenne a demandé à la Cour de constater que la France n’a pas pris les mesures nécessaires pour assurer la conformité des eaux destinées à la consommation humaine aux exigences minimales en matière de pollution aux nitrates, identifiant 107 unités de distribution dans la requête.
La Commission pointe notamment le risque pour la santé humaine de ces pollutions.
3️⃣Quelles suites ?
Une procédure d’instruction d’une durée au moins égale à un an va être ouverte.
Après avoir entendu toutes les parties, la Cour de justice constatera, ou non, l’existence d’un manquement au droit de l’Union par la France.
Elle pourra alors, le cas échéant, infliger à l’État le paiement d’une somme forfaitaire ou d’une astreinte pour faire cesser cette atteinte au droit européen.
Une telle sanction ouvrirait alors la voie à une action en responsabilité contre l’État français devant le juge national, dès lors que la violation du droit européen a entraîné un surcroit de dommage à la santé et à l’environnement.