Hélios Avocats

Cabinet d’avocats en droit de l’environnement à Lyon

ESOD : Être un nuisible se mérite

Article rédigé par Matteo Polito, stagiaire auditeur de justice, et Thibault Soleilhac, avocat associé.


Conseil d’État, 6ème - 5ème ch. réunies, 13 mai 2025, n° 480617

Par un arrêt du 13 mai 2025, le Conseil d’État a annulé le classement comme espèces « susceptibles d’occasionner des dégâts » (ESOD), ou « nuisibles », d’un certain nombre d’espèces animales.

La notion utilitariste, anthropocentriste et très conjoncturelle (appréciations historiques, socio-culturelles voire géographiques) d’espèce nuisible évoque les animaux vecteurs de maladies, destructeur de cultures, ou qui entrent en compétition avec les humains pour certaines ressources alimentaires. La qualification de nuisible permet également la destruction en-dehors des cadres réglementaires de la chasse. La notion illustre le plus souvent une méconnaissance du rôle des espèces dans le fonctionnement des socio-écosystèmes.

En conséquence, le Conseil d’État avait été saisi de plusieurs requêtes émanant d’association de protection de la biodiversité parmi lesquelles One Voice, la Ligue de protection des oiseaux ou encore France Nature Environnement.

Ces requêtes demandaient l’annulation pour excès de pouvoir de l’arrêté du 3 août 2023 du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires qui fixe la liste, les périodes et les modalités de destruction des espèces susceptibles d’occasionner des dégâts.


Le cadre juridique de la destruction d’espèces nuisibles

En droit national

La destruction des espèces considérées comme nuisibles est prévue par l’article R. 427-6 du code de l’environnement qui définit la procédure par laquelle le ministre chargé de la chasse peut inscrire une espèce, sur proposition du préfet et après avis d’une commission départementale, sur la liste des animaux classés susceptibles d’occasionner des dégâts dans un département.

L’inscription d’une espèce sur cette liste permet la destruction d’une partie des spécimens sur le territoire pour trois ans. Les associations de chasseurs participent à cette régulation.

L’article R. 427-6 du code de l’environnement pose deux conditions alternatives pour l’inscription sur la liste :

1 – L’espèce est répandue de façon significative dans le département et sa présence est susceptible de porter atteinte aux intérêts du territoire.

Le Conseil d’État rappelle dans la présente décision qu’il considère qu’une espèce est présente en abondance à partir de 500 spécimens sur le département.

2 – Il est établi que l’espèce est à l’origine d’atteintes significatives aux intérêts du département.

Le Conseil d’État retient ici qu’un dommage chiffré imputable est suffisamment significatif lorsqu’il excède 10.000€.

Les motifs permettant cette inscription sont définis au même article :

  • Intérêt de la santé et de la sécurité publique ;
  • Protection de la flore et de la faune ;
  • Prévention de dommages importants aux activités agricoles, forestières et aquacoles ;
  • Prévention de dommages importants à d’autres formes de propriété.

En droit européen

Au-delà du cadre national, deux directives européennes imposent aux Etats membres d’étudier in concreto la situation des espèces avant toute destruction.

La directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages impose, entre autre, que les prélèvements de spécimens intégrés en annexe soient compatibles avec leur maintien dans un état de conservation favorable, au regard de données de surveillance, peu importe la « nuisance » alléguée ou réelle.

La directive 2009/147/CE du 30 novembre 2009 du Parlement européen et du Conseil concernant la conservation des oiseaux sauvages prévoit, elle, que l’étude de l’existence d’autres solutions satisfaisantes à la destruction d’une espèce d’oiseaux sauvages doit être conduite avant toute destruction.


L’arrêt du Conseil d’État du 13 mai 2025

La méthode du Conseil d’État

Le Conseil d’État réalise une analyse in concreto de la situation de chaque espèce qui lui est soumise, au niveau du département.

Au nom du principe de prévention posé par l’article L. 110-1 du code de l’environnement, le ministre doit se fonder sur des données pertinentes dans chaque département pour définir les espèces présentes sur la liste.

La juridiction étudie notamment le montant exact des dégâts produits par chaque espèce au niveau départemental (44.000€ en cinq ans pour la fouine dans le Calvados ; 189.000€ pour la corneille noire en Charente sur la même période) mais aussi le nombre de spécimens effectivement présents lors de la rédaction de l’arrêté.

L’annulation d’une partie de l’arrêté

Ainsi, le Conseil d’État a déclaré contraire au droit national et européen en vigueur une partie de l’arrêté du 3 août 2023.

Au visa de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992, le juge a considéré que le ministre n’a pas fourni de « données fiables et actualisées relatives à l’état de conservation » de la martre et qu’ainsi, il méconnaît la directive qui impose un suivi des données de surveillance de l’état de conservation de l’espèce avant toute destruction.

En conséquence, la martre est retirée de la liste sur l’ensemble du territoire national et n’est donc plus considérée comme une espèce nuisible.

Au visa de l’article R. 427-6 du code de l’environnement, la fouine dans trois départements ; la pie bavarde dans deux départements ; l’étourneau sansonnet dans deux départements ; le geai des chênes dans deux départements ont été retiré de listes départementales des espèces nuisibles au motif que le ministre n’apporte pas la preuve que celles-ci sont répandues de manière significative ou qu’elles soient à l’origine d’atteintes significatives aux intérêts protégés par le règlement.

Au visa de l’article R. 427-6 du code de l’environnement, la corneille noire dans un département ; la pie bavarde dans quatre départements ont été retirées de listes départementales des espèces nuisibles au motif que le ministre n’apporte pas la preuve que celles-ci soient à l’origine d’atteintes significatives aux intérêts protégés par le règlement.

Au visa de l’article R. 427-6 du code de l’environnement, la corneille noire dans un département a été retirée d’une liste départementale des espèces nuisibles au motif que le ministre n’apporte pas la preuve que celle-ci soit répandue de manière significative à l’échelle du département.

Au visa de l’article R. 427-6 du code de l’environnement, le renard dans trois départements a été retiré de listes départementales des espèces nuisibles au motif que celui-ci apporte une contribution positive à l’écosystème particulièrement touchés par la présence de campagnols et que les dégâts provoqués par le renard sont circonscrits à quelques zones et non à tout le département.

Au visa de la directive 2009/147/CE du 30 novembre 2009 du Parlement européen et du Conseil, le juge a considéré que le ministre ne justifie pas que le corbeau freux dans deux départements ; la corneille noire dans quatre départements soient dans un état de conservation favorable ni que des solutions alternatives à la destruction de ces espèces n’aient été recherchées. Cela malgré des dégâts significatifs reconnus par le juge dans ces départements.

Ainsi, le corbeau freux dans deux départements et la corneille noire dans quatre départements est retiré de listes départementales des espèces nuisibles.

Au visa de la directive 2009/147/CE du 30 novembre 2009 du Parlement européen et du Conseil, le juge a considéré que le ministre ne justifie pas que des solutions alternatives à la destruction de la pie bavarde dans un département ; l’étourneau sansonnet dans un département n’aient été recherchées.

Ainsi, la pie bavarde dans un département et l’étourneau sansonnet dans un département sont retirés de listes départementales des espèces nuisibles.

Enfin, s’agissant plus particulièrement des modalités de destruction du renard, l’article R. 427-6 du code de l’environnement prévoit que le ministre définit ces modalités à partir de propositions du préfet après avis de la commission département de la chasse et de la faune sauvage. Si le ministre n’est pas tenu par les propositions et avis dans l’exercice de sa compétence, il lui appartient de justifier ces modalités en cas de contestation.

Or, selon le Conseil d’État, le ministre n’apporte pas d’éléments de nature à établir que la destruction des renards dans onze départements par la technique du déterrage serait nécessaire à la bonne régulation de l’espèce sur le territoire.

Ainsi, l’arrêt annule l’inscription du renard sur onze listes départementales au titre qu’elles ne précisent pas que le renard ne peut être détruit qu’à tir ou par piégeage.


En conclusion, le Conseil d’État rappelle l’obligation faite à l’Administration, et en particulier aux services du ministère de la transition écologique, de justifier toutes les atteintes à la biodiversité, même lorsque celles-ci semblent motivées par une nécessaire régulation (i.e. destruction) des espèces dites « nuisibles » ou ESOD selon l’euphémisme acronymique et politiquement correct en vigueur.


ESOD : Être un nuisible se mérite
Retour en haut